Les stations de radio illégales étaient un véritable problème pour les PTT. Partant de leurs sites de radio-surveillance, qui, comme l’infrastructure émettrice, étaient répartis dans toute la Suisse, ils ont commencé à rechercher les pirates à l’aide de véhicules de repérage et parfois accompagnés de la police. Les PTT ont équipé leurs véhicules de contrôle d’appareils de mesure sophistiqués afin de pouvoir localiser les émetteurs le plus rapidement possible et avec précision. Pour passer inaperçus, les PTT ont remplacé les minibus équipés d’un mât de réception sur le toit par des voitures camouflées, parfois même des voitures de sport.
Mais les pirates étaient eux aussi bien préparés : s’ils remarquaient des véhicules de contrôle PTT s’approchant, ils pouvaient éteindre leur émetteur, le cacher et s’échapper. Pourtant, les gardiens du monopole ont parfois réussi : ils ont pu subtiliser plusieurs fois des appareils de « Radio City ».
À l’époque, les PTT ne s’exprimaient pas sur les contenus des programmes des pirates. Rétrospectivement, l’ancien détective radio Martin Egold nous a dit qu’il aimait vraiment entendre les contenus des pirates. Mais le mandat légal était clair : il s’agissait de supprimer entièrement les chaînes illégales. Comme les PTT l’ont annoncé dans un communiqué de presse, l’affaire était sérieuse, certainement pas des histoires divertissantes de « gendarmes et de voleurs ». Alors que la « lutte » contre les pirates était déclarée au début par la nécessité de libérer les fréquences radio en cas de guerre, à la fin des années 1970, les PTT justifiaient leur action s par le fait que le « ‹libre-service› entraînerait inévitablement le chaos dans notre [...] espace. »
Les PTT, un obstacle dont on s’amusait
Les pirates de la radio ne se laissèrent pas déconcerter. À Zurich, ce sont les « Wellenhexen » (sorcières des ondes) qui ont été les premières à diffuser leur programme à plusieurs reprises en 1975. Seules des femmes étaient présentes sur la station : le féminisme était sur le devant de la scène. Elles parlaient par exemple ouvertement de menstruations, rompant ainsi radicalement avec les conventions sociales de l’époque. La NZZ décrivait cela comme « une séance de bavardage [...], qui portait surtout sur les problèmes de femmes ». D’autre part, il y avait aussi des radios qui se concentraient sur la diffusion de musique.
Dès 1979, la chaîne Radio 24 de Roger Schawinski s’est engagée pour une attribution contrôlée des fréquences et contre le monopole légal de la SSR et des PTT. Ce journaliste dynamique a profité de la législation radio libérale italienne pour construire une station FM performante en direction de Zurich sur le Pizzo Groppera, une montagne à la frontière suisse. Les ondes FM ont atteint la ville de la Limmat par une tranchée dans les sommets alpins. Les PTT étaient impuissantes, la station émettrice n’étant pas située en Suisse. L’émetteur de Schawinski, qui n’a pas pu être déconnecté par les PTT, a séduit un large public.
Les pirates du mouvement de jeunesse ont profité de la popularité de « Radio 24 » autour des Opernhauskrawalle (Émeutes de l’Opéra) des années 1980. L’émetteur de Schawinski était certes suffisamment puissant pour traverser les Alpes et être bien audible à Zurich, mais ceux qui émettaient en ville pouvait surpasser le signal. Les radios activistes savaient très bien que pendant la période des Émeutes de l’Opéra durant l’été 1980, certaines citadines appréciaient le programme léger de « Radio 24 » lorsqu’elles diffusaientleurs propres émissions sur d’autres fréquences sur la chaîne populaire italienne. Les émissions créatives et décontractées de « Radio Banana » ont vu le jour au cours d’un dîner entre amis : des bavardages amusants, des réflexions politiques sur les revendications d’espaces libres et des alternatives à la grisaille de Zurich des années 1970 ont été au cœur de ces brèves émissions de radio, tout comme la musique la plus récente. L’enregistrement des cassettes et le montage constituaient une activité plaisante et un travail politique qui, outre la multitude de journaux et de magazines, était un élément important du patrimoine culturel du mouvement de la jeunesse.
La pression politique exercée par les auditrices et auditeurs de Radio 24 a ouvert la voie à la libéralisation. Après plusieurs allers-retours entre le ministre des Postes italien et le Conseil fédéral, après plusieurs coupures de l’émetteur sur le Pizzo Groppera par les autorités italiennes et de grandes protestations à Zurich et dans le studio italien au pied de l’émetteur alpin, la Suisse a entamé un assouplissement de la législation. La libéralisation a permis aux radios privées d’obtenir des concessions et d’émettre légalement – la SSR a réagi avec le programme de radio de musique pop de DRS 3 afin de regagner une partie du public. Les radios commerciales privées étaient financées par la publicité. Peu d’entre elles ont survécu à long terme. Les petites stations, principalement activistes, ont majoritairement disparues, mais la radio locale zurichoise « Radio LoRa » est un témoin vivant de cette époque.
Des parties de ce texte ont été publiées sur le blog du Musée de la communication en allemand.